SIAMANTO
Atom Jartchanian alias Siamanto est né le 15 août 1878, à Akn, province Kharberd, Arménie Occidentale, à présent Turquie Orientale, à l’heure actuelle le lieu est appelé Kémalié, où sont également nés Nahabed Koutchak, A. Arpiarian, G. Zohrap, M. Métzarentz, A. Tchopanian et d’autres. La famille est nombreuse : seize membres. Le père d’Atom, Hovhannès est vendeur de pierres précieuses. La mère, Nazénie chanteuse, interprète de chansons folkloriques et d’antounis (chansons de nostalgie pour la patrie).
Atom a un frère et trois sœurs. Il fait ses études primaires au College Nersissian d’Aken, où son professeur, l’écrivain Garéguine Servandzetiantz surnomme le jeune Atom du pseudonyme Siamanto. Siamanto fuit Akn lors des massacres hamidiens, 1894-1896, et s’installe avec sa famille à Constantinople, puis à l’étranger où il poursuit ses études : Grèce, Égypte, Suisse, France et Autriche. Siamanto assiste comme auditeur libre à des conférences à la Faculté de philologie de l’Université Sorbonne, à Paris. Il étudie les sciences sociales, la philosophie, la littérature occidentale et mondiale, les nouveaux mouvements littéraires. C’est l’époque où il fait également la connaissance des intellectuels arméniens et se rapproche des membres de l’Union des étudiants arméniens de l’Europe. Il travaille pour des périodiques et journaux arméniens publiés dans de différents pays.
En 1904 Siamanto quitte Paris pour la Suisse pour raison de santé. Il souffre de la pneumonie depuis son enfance. En 1908, après la révolution des Jeunes Turcs, Siamanto retourne à Constantinople, comme l’ont fait ses amis. « Il est venu nous retrouver tous, et ma mère accueillait les proches d’Atom, Varoujan, Minassian, Zardarian et tout le monde. Atom était heureux avec ses proches et ses amis », témoigne sa sœur Zapel. L’enthousiasme du poète concernant les grands espoirs du nouveau gouvernement qui a répandu les slogans de la démocratie, ne dure pas longtemps.
En 1909, de nouveaux massacres d’Arméniens sont perpétrés à Adana. Par le biais d’une série de poèmes « Nouvelles rouges de mon proche », Siamanto dénonce et condamne le crime. Il est alors, avec Daniel Varoujan, le poète le plus en vue de la scène littéraire arménienne de Constantinople. En 1913 Siamanto voyage à Tbilissi et en Arménie. Lors de la Première Guerre mondiale, l’Empire Ottoman (les dirigeants jeunes-turcs) entre en guerre le 29 octobre 1914, après avoir signé une alliance secrète avec l’Allemagne dès le 2 août, en promettant à Berlin une intervention immédiate, contre les Russes dans le Caucase et contre les Britanniques en Égypte.
Les Jeunes-Turcs saisissent l’occasion pour mettre en œuvre leur projet de Turquie racialement homogène : ils décident l'élimination des Arméniens de l’Asie Mineure. Ce projet est mis en œuvre avec méthode. Le ministre de l’Intérieur turc transmet ce télégramme aux Jeunes-Turcs de la province d’Alep : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici. » Il s'agit donc d’un projet politique, réalisé sous couvert de transférer les populations arméniennes loin du front, pour éviter leur collaboration avec l’ennemi. Le gouvernement turc fait ainsi désarmer les soldats arméniens de l’armée ottomane. Ces derniers sont alors employés à des travaux pénibles avant d’être discrètement assassinés.
Le 5 septembre 1914, Simanto écrit à son ami le Docteur Bazarjian : « Dans votre désespoir, votre chagrin, votre esclavage inexplicable, votre résignation honteuse et dans les jours absurdes dignes des jurons qui sont hors de mon et de votre vocabulaire, votre petite lettre provenant d’un grand cœur m’a fait penser qu’il y a encore des gens et des amis. Mais avant ma douleur, je parle de la douleur de ma nation et de ta nation. La jeunesse arménienne, les soldats ont été ravagés par les hyènes. Terrible horreur ! Il n’y a personne dans les provinces. Jusqu’à 45 ans... jusqu’à la mort, jusqu’à la mort exacte. La mort, mais pas dans une guerre, mais dans un état de faim. Toute la Turquie est affamée. Il ne reste plus aucun marchand grec ou arménien. Le gouvernement a réuni tout le monde, pillé, volé et saisi. Partout le pillage, mais pas de farine ni de soie, mais ce qu'ils trouvent chez les marchands arméno-grecs. À Constantinople et partout c’est la même chose. »
Le 24 avril 1915, Siamanto est arrêté avec de nombreux autres intellectuels arméniens. En prison, Siamanto parvient à envoyer cinq cartes à sa famille et à sa bien-aimée Manik Perperian. Comme Sévak et Varoujan, Siamanto meurt attaché à un arbre, mutilé de part en part, et ses restes jetés aux chiens errants, le 24 août 1915, à l’âge de 37 ans. La poésie de Siamanto, est « nourrie exclusivement de la réalité et du fait de tirer les vivants du sommeil », comme l’écrit Daniel Varoujan.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire : Siamanto, Ténèbres, choix de poèmes, édition bilingue, traduction de l’arménien et présenté par Ani Sultanyan (La Coopérative, 2023).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58 |